Tombeau de Raoul Ducourneau by Bruno Lafourcade

Auteur:Bruno Lafourcade [Lafourcade, Bruno]
La langue: fra
Format: epub
Tags: BIB Litt. Générale
Éditeur: Éd. Léo Scheer
Publié: 2019-09-02T22:00:00+00:00

Elle alla chercher d’autres dictionnaires qu’elle posa sur la table, non sans jeter à la dérobée des regards à son père qui ne levait pas la tête du journal.

« Quand je demande au docteur, il répond pas… »

Elle trouva enfin, et lut, en articulant lentement, pour qu’aucune syllabe de sa maladie ne se perde :

« “Affection caractérisée par un ramollissement des os”… Ce que je voudrais savoir, c’est si on peut en guérir ou non…

— Bayonne a pris une dérouillée contre Biarritz », dit Raoul Ducourneau, sans lever les yeux de son journal.

Elle connut des jours difficiles : la douleur, disait-elle, ressemblait à une rage de dents qui aurait gagné l’ensemble du corps ; et puis elle n’avait plus de travail, plus d’argent : l’emploi qu’elle espérait n’était pas venu, et elle courait les assistantes sociales pour demander des aides diverses, notamment des bons alimentaires : elle espérait obtenir de la mairie le paiement de la cantine de ses enfants ; sa fille avait beaucoup de difficultés à apprendre à l’école ; son fils semblait s’être installé dans l’échec : sa scolarité s’effondra en classe de quatrième.

Parallèlement, elle apprit que Daniel avait plus ou moins tenté de se tuer : ivre mort, il s’était jeté, ou avait chuté, entre les dents de la roue d’un moulin ; souffrant de multiples fractures, aux hanches et à la mâchoire, il passa quelque temps en « maison de repos », où l’on tenterait en vain de soigner son alcoolisme et sa dépression.

Persuadée qu’un sort lui avait été jeté, qui aurait expliqué sa maladie, l’échec de son mariage et les déconvenues scolaires de ses enfants, Véronique commença de verser dans l’ésotérisme. Élevée dans la religion catholique, sensible depuis toujours au surnaturel, elle se prit de passion pour le tarot, la voyance, l’astrologie, qu’elle mêla à des lectures sur le « développement personnel » et la « pensée positive ». Ces différentes disciplines n’entraient pas en contradiction avec un intérêt pour la magie blanche : Véronique était décidée à contrecarrer les desseins du Malin.

La pensée de l’existence du diable l’attirait autant qu’elle l’effrayait : elle avait hérité ce tropisme de sa mère, elle-même persuadée que Satan lui en voulait personnellement, dont la présence se manifestait par des bruits étranges dans la maison familiale, ou de la volaille décimée par des maladies suspectes. Véronique présenta un jour à sa mère une certaine Madeleine, voyante-exorciste. Un été, Grégoire, qui passait des vacances dans cette maison, découvrit la porte du garage fermée à clé : sa sœur vint lui ouvrir. Une odeur âcre lui sauta à la gorge : tout baignait dans un nuage d’encens – Madeleine, une petite femme d’une soixantaine d’années, psalmodiait des prières en promenant un brûle-parfum dans le garage, les chambres, la cuisine, le salon.

Véronique voyait à présent des interventions malignes dans chaque répétition de contrariétés : un jour que Grégoire se rendait chez elle à bicyclette, il creva, et on lui vola le portefeuille qu’il avait laissé dans le panier de son vélo ; cela suffit que Véronique y vît la main du Malin.

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